MARY
READ, FEMME PIRATE Marie Read
naquit en Angletrerre; sa mère se maria fort jeune à un homme de mer qui
la quitta bientôt pour entreprendre un voyage, laissant sa femme enceinte
d'un fils dont elle accoucha ensuite. Soit que son mari mourut en chemin,
soit qu'il fit naufrage, elle n'en reçut aucune nouvelle ; c'est pourquoi
comme elle était jeune et galante, elle s'ennuya bientôt de n'être ni
femme, ni veuve et échoua contre l'écueil où tant d'autres échouent, c'est
à dire qu'elle devint grosse. Elle avait assez bonne réputation parmi
ses voisins, et pour se la conserver, elle résolut de prendre congé dans
les formes de tous les parents de son mari, sous prétexte de partir à
la campagne pour y vivre parmi les siens propres. Elle partit en effet
avec son fils qui n'avait pas encore un an. Ce fils mourut peu après son
départ, et sa grossesse étant parvenue au terme, elle mit au monde une
fille, qui est notre Mary Read. La mère vécue dans sa retraite pendant
quatre ans, jusqu'à ce que n'ayant plus d'argent, elle songea à retourner
à Londres, et sachant que sa belle-mère était en état de l'assister, elle
résolut de métamorphoser sa fille et d'en faire un garçon, pour la présenter
en cette qualité à sa belle-mère et la faire passer pour le fils de son
mari. Quoique la chose ne fut pas fort facile et qu'il s'agissait de tromper
une vielle femme, elle hasarda le paquet et réussit si bien que la vielle
mère voulut la garder et l'élever ; mais la mère n'y voulut pas consentir
: je ne pourrai dit-elle, me résoudre à me séparer de mon cher fils ;
de sorte qu'ils conclurent que l'enfant resterait près de sa mère, et
que la grand-mère fournirait un écu par semaine pour sa subsistance. […] Après une brève idylle, ils se marièrent mais leur bonheur fut de courte durée : le mari mourut. Le peu qu'elle avait pu ramasser fut bientôt dépensé, ce qui l'obligea de quitter le ménage. Dans cette extrémité, elle résolut de s'habiller de nouveau en homme : elle partit pour la Hollande où elle s'engagea dans un régiment d'infanterie qui était en garnison dans une des places frontières ; mais la paix ne fournissant aucune occasion pour espérer quelque avancement, elle prit la résolution d'abandonner le régiment et de chercher fortune ailleurs. Pour cet effet, elle s'embarqua sur un vaisseau destiné pour les Indes Occidentales. Il arriva que ce vaisseau fut pris par des pirates anglais, qui se laissèrent aller après l'avoir pillé ; mais Marie Read qui était le seul Anglais de la troupe fut gardée parmi eux. Quelques temps après on publia dans toutes les places des Indes Occidentales la proclamation du Roi, qui pardonnait à tous les pirates qui se soumettraient dans un certain temps limité par cette proclamation. Tous ceux de la troupe dans laquelle se trouvait Marie Read acceptèrent le pardon et se retirèrent dans quelque endroit pour y vivre tranquillement. L'argent leur manqua bientôt et sur la nouvelle qu'ils apprirent que le gouverneur Woods, gouverneur de la Providence, équipait des armateurs pour croiser contre les Espagnols, Marie Read avec plusieurs autres s'embarquèrent pour cette île dans le dessein de prendre parti avec eux, bien résolus de faire fortune par quelque voie que ce fût. Ces armateurs eurent à peine mis la voile, que les équipages de quelques-uns se soulevèrent contre leur commandant pour recommencer leur ancien métier de pirate : de ce nombre était Marie Read. Il est vrai que souvent elle a déclaré qu'elle avait eu horreur de ce genre de vie et qu'elle ne s'y était engagée qu'à force de sollicitations, quoique dans le temps de son procès fût instruit, deux hommes déposèrent sous serment, que pendant quelque action, aucun pirate n'avait paru ni si résolu ni si prêt à aller à l'abordage, ou à entreprendre quelque chose où il y eut du danger, qu'elle et Anne Bonny. Que particulièrement dans cette dernière action où elles furent prises, personne ne resta sous le tillac que Marie Read, Anne Bonny avec encore un autre ; que sur le refus que firent ceux qui étaient sous le tillac de venir au combat, Marie Read avait fait feu sur eux, dont un pirate fut tué et plusieurs autres blessés. Voilà en partie ce qu'on déposa contre Marie Read mais elle le nia. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'elle ne manqua pas de courage et qu'elle ne fut pas moins remarquable par sa modestie ; car personne n'eut le soupçon de son sexe, jusqu'à ce que Anne Bonny, qui n'était pas si délicate en matière de chasteté, devint amoureuse d'elle, la prenant pour un beau et jeune garçon. Anne Bonny qui voulut satisfaire sa passion découvrit son sexe à Marie Read, qui jugeant par-là des desseins de cette amoureuse, fut obligé à son tour de lui déclarer qu'elle était aussi bien femme qu'elle et par conséquent hors d'état de la contenter. La grande familiarité qu'il y eut entre elles donna de la jalousie au capitaine Rackam, qui était le galant d'Anne Bonny, jusque-là qu'il menaça de couper la gorge à son nouvel amant ; mais Anne Bonny, pour prévenir ce facheux accident, lui fit part du secret, avec prière de ne pas le révéler. […] L'équipage de Rackam fait prisonnier, Marie Read est traduite en justice. La cour ne put s'empêcher de la condamner ; car entre autres choses qu'on déposa contre elle, on prouve qu'un jour discourant avec le capitaine Rackam, celui-ci la prenant pour un jeune homme, lui demanda quel plaisir elle pouvait prendre à s'engager ainsi parmi les pirates ; que sa vie était non seulement un danger continuel, mais qu'une mort ignominieuse la devait terminer, ce à quoi Marie Read répondit n'était pas ce qu'elle appréhendait ; que les gens de courage ne devaient point craindre la mort. Si les pirates, disait-elle, n'étaient pas punis d'une telle manière et que la peur ne retint beaucoup de poltrons, mille fripons qui paraissent honnêtes gens et qui néanmoins ne s'appliquent présentement qu'à tromper la veuve et l'orphelin, où à chicaner et à supplanter leurs voisins se mettraient aussi en mer pour voler impunément, et l'océan ne serait couvert que de cette canaille ; ce qui causerait la perte totale du commerce. Nous avons vu ci-devant qu'elle était enceinte, sur quoi la Cour fit surseoir l'exécution, et il y a apparence qu'elle aurait obtenu son pardon ; mais peu de temps après elle fut attaquée d'une fièvre violente dont elle mourut en prison. |